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(Blogmensgo, blog gay du 2 octobre 2019) Du 22 au 28 septembre 2019 avait lieu la Semaine des livres censurés, un événement plus connu sous l’appellation anglaise Banned Books Week. Et comme on l’évoquait déjà ici en 2016, tous les prétextes sont bons pour interdire des livres, quel que soit le pays ou le lieu d’interdiction et quel que soit le contenu des livres incriminés. De nombreux sites, anglophones pour la plupart et notamment américains, évoquent le sujet. Mais presque tous ces sites omettent une nouvelle forme de censure : celle qui frappe les personnes investies d’une mission de lecture.
Une erreur de manipulation m’a fait perdre un long paragraphe, et surtout les sources qui s’y rapportaient. Je me bornerai à une simple évocation d’une nouvelle forme de censure : la lecture de livres par des personnes jugées offensantes. Le cas s’est présenté, ici ou là (flemme de retrouver mes sources), pour des lectures à de jeunes enfants par des drag-queens. Shocking! ont estimé des ligues de vertu, des parents d’élèves, des associations religieuses et autres personnes à l’ouverture d’esprit proverbiale. Et pourtant… les enfants adorent ce type de lecture, comme j’ai pu le constater par moi-même dans la bibliothèque municipale de ma ville. Car pour les enfants, une lecture de ce – troisième – genre tient plus de l’événement festif et rigolo que de la tribune militante et dérangeante.
Sauf qu’interdire à des drag-queens de lire des livres « inoffensifs » à de jeunes enfants, cela relève au mieux de la méchanceté, au pire de l’arriération mentale.
Les enfants ne voient pas le mal où il n’est pas, bien au contraire. Et ce n’est pas par manque d’imagination, comme l’atteste cette gentille anecdote racontée par une ancienne star – féminine – du porno dans un livre lu naguère par désœuvrement. Cette personne, connue pour ses rôles plus ou moins fétichistes et trashy, décide un jour d’expliquer à sa très jeune fille qu’elle tourne des films « pour adultes ». Et la maman, à sa grande stupéfaction, s’aperçoit que la gamine l’imagine interpréter des rôles de superhéroïne dans des films de vampires ou de gangsters.
Si l’on se réfère à la recension par Robert des treize livres le plus fréquemment interdits aux États-Unis en 2019, l’on notera qu’aucun d’entre eux ne l’a été pour des scènes ou propos à caractère homosexuel. Dans sa liste, les trois motifs principaux – du moins en nombre – de mise à l’index sont les scènes de sexe (hétéro), les propos irréligieux ou antireligieux et – puisqu’il s’agit des États-Unis, où l’hypocrisie est reine – le langage grossier ou ordurier.
On se fera une idée un peu plus précise et plus mondiale en consultant la carte ci-dessous, mise en ligne par le collectif Global English Editing et reprise par cet article d’ActuaLitté.
En 2019, la liste des livres interdits à l’échelle d’un ou plusieurs pays incluait des best-sellers mondiaux tels que le Coran (Corée du Nord), la Bible (Libye, Maldives) et Les versets sataniques (nombreux pays musulmans). Certains pays prohibent aussi les livres qui vont à l’encontre de leur doxa politique, de leur « roman national », ou qui rappellent un peu trop les heures sombres de leur histoire. C’est ainsi que Mein Kampf reste interdit en Autriche, de même que les livres évoquant le génocide des Amérindiens aux États-Unis (mais le bouquin de Sherman Alexie contient aussi des scènes de sexe et un langage peu châtié) et celui des Arméniens en Turquie. Sans surprise non plus, de nombreux ouvrages évoquant des pratiques sexuelles considérées comme déviantes, en particulier la pédophilie et l’inceste (Lolita en Argentine) ou encore le fétichisme et le sadomasochisme (Fifty Shades of Grey en Malaisie), subissent également des interdictions temporaires ou durables, de même que les livres écrits par des opposants (Liu Xiaobo en Chine) ou qui donnent lieu à une satire politique trop ostensible (George Orwell aux Émirats arabes unis).
Et les livres évoquant, fût-ce à mots couverts, l’homosexualité masculine ou féminine ? On imagine bien évidemment que nul ne serait assez téméraire pour publier ou mettre en scène une œuvre comme Love! Valour! Compassion! de Terrence McNally dans des pays comme l’Iran ou l’Indonésie. La censure serait bien plus importante et virulente sans une bonne dose d’autocensure.
Hormis ces cas extrêmes de pays prohibant toute allusion à – ou description de – l’homosexualité, la plupart des interdictions fluctuent au gré des lieux, des époques, des institutions et des gens qui les dirigent. C’est ainsi que Lillian Hellman a pu écrire et faire jouer sa pièce The Children’s Hour sans difficulté ni censure particulières, mais qu’elle a dû récrire l’adaptation cinématographique homonyme de cette pièce évoquant une fausse rumeur d’homosexualité, car Hollywood – à travers son très régressif Motion Picture Production Code – interdisait toute allusion à l’homosexualité. Cela n’a pas non plus empêché le succès de son chef-d’œuvre The Little Foxes au théâtre ni dans le film de William Wyler, malgré – si j’ai bonne mémoire – un sous-texte lesbien qui m’avait paru flagrant dans la pièce de théâtre comme dans le film.
Sur la censure de l’homosexualité au cinéma, on consultera peut-être avec profit le livre Homosexualité, censure et cinéma, que publie LettMotif et qu’un ami vient de m’offrir. Je constate d’emblée, au vu de la version en PDF, que les 15 rédacteurs de ce recueil d’essais sont tous des hommes et que le livre ne propose ni sommaire ni table des matières. Ne s’improvise pas éditeur qui veut… [update : l’éditeur nous signale que son livre contient bien une table des matières, mais en dernière page – donc je lui restitue volontiers son titre d’éditeur, ma réaction à chaud ayant été peu diplomatique et mal renseignée.]
La plupart des pays qui jadis interdisaient des œuvres jugées sulfureuses ou poursuivaient leurs auteurs pour atteinte aux bonnes mœurs ont, au cours des décennies suivantes, adopté une attitude plus conciliante et renoncé aux tourments judiciaires. C’est ainsi que tout le monde peut lire John Rechy ou Sarah Waters aux États-Unis, Oscar Wilde ou Emma Donoghue en Irlande, Pierre Guyotat ou Monique Wittig en France, Alan Hollinghurst ou Virginia Woolf au Royaume-Uni.
Dans ces mêmes pays, ces mêmes auteurs subissent toutefois encore, ici ou là, les oukases de bibliothécaires, ligues de vertu, politiciens et associations plus ou moins fanatiques, notamment sous prétexte de convictions religieuses. Mais ces oukases empruntent souvent des voies détournées : les livres incriminés disparaissent subrepticement des rayonnages ou ne parviennent jamais jusqu’aux listes d’achats officielles ; c’est ainsi qu’une amie documentaliste dans un célèbre lycée parisien doit soumettre sa liste d’achats de livres à la directrice de l’établissement, qui biffe systématiquement tout ouvrage au titre ordurier ou potentiellement relatif à l’homosexualité – jusqu’à voir des allusions là où il n’y en a pas. Et aux États-Unis on continue de brûler des brûlots, que ce soit en catimini ou sur la place publique.
De fait, la censure homophobe tend aujourd’hui à se déplacer sur le front des livres pour (très) jeunes enfants. Des adultes à l’esprit borné s’insurgent haut et fort dès lors qu’un livre évoque l’amour qui unit deux lions ou deux lionnes, deux pingouins mâles ou deux girafes femelles, ou tout simplement deux personnes de même sexe. Les homophobes tentent bien souvent de faire croire que des enfants sont trop jeunes pour comprendre l’homosexualité et que les livres incluant des aventures ou personnages homos risquent de nuire à leur développement psychologique.
Ces prurits de soi-disant vertu ne disparaîtront que quand les mentalités les plus étriquées auront elles-mêmes disparu. Leur disparition serait sans doute facilitée par les médias si ces derniers n’affichaient pas une complaisance ostensible à l’égard des collectifs et des personnalités homophobes.
La censure ne concerne pas que l’écrit ou l’image, mais aussi les arts de la scène, en particulier le théâtre et les comédies musicales. Là encore, nombre de censeurs occupent une fonction stratégique dans les établissements scolaires (enseignants, parents d’élèves, proviseurs, responsables des installations ou événements culturels), dans les festivals (programmation) et dans les salles de spectacle publiques ou privées (organisation, programmation, partenariats).
Sans surprise, l’adaptation à la scène d’œuvres déjà interdites lors de leur parution sous forme de livre constitue un motif récurrent de censure. En 2009, le livre pour jeunes enfants And Tango Makes Three (Et avec Tango ça fait trois) était banni de nombreuses bibliothèques étatsuniennes car il traitait de l’homosexualité et de l’homoparentalité en s’inspirant de l’histoire vraie d’un couple de manchots gays qui avait adopté la petite Tango dans son zoo. Six ans plus tard, des parents d’élèves ont fait interdire la représentation d’une pièce de théâtre homonyme dans un établissement scolaire de Fresno, en Californie. Nul doute que la même interdiction frappera cette pièce dans d’autres lieux aux États-Unis et ailleurs.
Des sujets ou scènes ouvertement ou implicitement homosexuels continuent aussi de motiver l’interdiction de spectacles malgré des récompenses parfois prestigieuses. C’est ainsi que, là encore en Californie, des parents d’élèves d’une école catholique ont fait interdire en 2013 la célèbre comédie musicale Cabaret, de John Kander et Fred Ebb, sous de multiples prétextes, dont le caractère « vulgaire » du spectacle et certains « comportements homosexuels » sur scène. Un an plus tard, en Pennsylvanie, une école a non seulement empêché la représentation de la comédie musicale Monty Python’s Spamalot pour cause de « thèmes homosexuels », mais aussi limogé son professeur d’art dramatique pour avoir protesté contre cette censure.
La liste des 11 livres le plus souvent contestés en 2018, établie par l’American Library Association, recense les cas où des œuvres soit subissent des demandes d’interdiction ou de censure, soit sont effectivement interdites ou censurées ici ou là sur le territoire américain. Les trois premiers livres de la liste ont été contestés respectivement pour l’inclusion d’un personnage transgenre (George, d’Alex Gino), de « contenus LGBTQIA+ » (A Day in the Life of Marlon Bundo, de Jill Twiss) et d’un couple de même sexe (la série Captain Underpants, de Dav Pilkey). Trois autres livres de cette liste ont été contestés – et même, pour les deux derniers, brûlés – pour des contenus, personnages ou thèmes LGBTQIA+.
On pourra visionner ci-dessous, et dans l’ordre inverse du classement, le top-11 des interdictions de livres demandées en 2018 (aux États-Unis, bien que cela ne soit pas précisé dans la vidéo)…
On pourrait, hélas ! multiplier les exemples à l’infini, que ce soit aux États-Unis – où les organisations de défense des libertés civiles et des personnes LGBT sont souvent mieux structurées qu’ailleurs – ou dans d’autres pays. Dommage que la Banned Books Week ne soit devenue un événement majeur que dans les pays anglo-saxons. Il est vrai que dans d’autres pays, par exemple la France, la censure pour des motifs homophobes est devenue contraire à la loi et les coupables risquent des sanctions tant pénales – rarissimes, certes – que civiles.
Heureusement, rares sont les collectifs homophobes qui anticipent l’une des conséquences de leur militantisme imbécile : le succès de scandale qu’obtiennent les œuvres censurées. Dans succès de scandale, il y a bien sûr scandale, mais il y a surtout succès. C’est toujours ça de gagné.
Philca / MensGo
Juste pour info, de la part de celui qui s’improvise éditeur pour le livre Darkness 5, homosexualité, censure et cinéma, le SOMMAIRE complet et détaillé est en 4e de couverture…
Cordialement
Au temps pour moi, je n’avais pas vu la table des matières, qui se trouve effectivement en dernière page. Alors que dans une version numérique, il serait appréciable d’insérer en début d’ouvrage au moins un sommaire (qui, comme son nom l’indique, est… sommaire). Et que la table des matières (qui n’est pas un sommaire, puisqu’elle n’est pas… sommaire) soit cliquable – ou qu’au moins, le sommaire lui-même, quand il existe, soit cliquable.
Un ebook (peu importe qu’il soit en PDF, ePub ou azw3) ne devrait pas être une simple reproduction à l’identique d’un livre papier. Car la personne qui lit en numérique n’aura pas le réflexe de consulter la dernière page en premier, puisqu’en numérique il n’y a pas de quatrième de couverture. 😉
Mettre une table des matières en tout début de livre numérique relève du bon sens, surtout si, de surcroît, les éléments de cette page-là sont cliquables.
Je modifie mon article en conséquence – et je salue, au passage, la consistance de ce livre, la qualité de ses auteurs… et la réactivité de son éditeur. 🙂